Les Nuits pales (2) |
Clair de lune
Pendant les nuits d'automne où la lune, plus blonde, Veille, clarté fantasque, au seuil du grand tombeau, Lorsque du vent glacé frissonne le sanglot, Souvent je vais rêver dans le sommeil du monde.
J'aime errer dans la nuit qui grandit ma détresse Lorsque dans son baiser tremblent les arbres blonds Et lorsque sur les bois où neige la tristesse Plane le clair de lune aux magiques frissons
Là, j'écoute la voix des nocturnes regrets, Une vague chanson dans un ciel d'agonie, Un sanglot éternel aux funèbres secrets, L'adieu triste et lointain de la pale harmonie.
Et cette voix glacée de l'éternelle nuit. Guide vers le néant mon cœur plein de fantômes, Tandis que sous le ciel où la lune s'enfuit Je frissonne à rêver de mourantes Sodomes. Hélas l'automne blond dans mon cœur agonise Le doute en a chassé le désir et l'amour, Je préfère aux grands jours les nuits où tout se brise Je crains la nuit glacée, plus que je hais le jour.
Je demeure perdu dans l'immense douleur Et j'y trouve un bonheur fait de plaisir étrange Le sombre enterrement d'un démon ou d'un ange Comme une volupté d'égoïste malheur.
Et parmi la forêt lunaire un spectre pale Tissu de clair de lune et de vagues blancheurs M'apparaît comme un frère aimé de ma douleur Et sourit tristement au firmament d'opale.
Alors je pense à vous dans l'ombre qui s'étonne, Et mon esprit répète à mon cœur malheureux Que vous êtes heureuse et que je suis heureux Malgré l'automne en pleurs de mon cœur qui frissonne.
1er Décembre 1905.
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