Nocturne

Une nuit est éclose et c’est celle où nous sommes,

elle est fraîche et tendre et rien ne vient la troubler.

Seul le vent la caresse avec un bruit ailé

où ne résonne plus la  parole des hommes.

 

Ne dis pas que  tu l’as  connue, écoute encor.

Je sais qu'autour de moi toutes les fleurs sont mortes

et qu’il n'est pas de voix que la brise m'apporte,

je sais que je suis seul dans le jardin qui dort.

 

Mais cette nuit n'est pas si lointaine de celle

où s'était éveillé notre amour d'autrefois.

Il me semble qu’en elle encor je la revois

et que jamais je n'en ai connu de plus belle.

 

Et la lune est montée au-dessus des forêts

et j'ai respiré le même parfum des roses

puisque malgré moi-même une nuit est  éclose

et qu’elle est comme celle où nous avions passé.

 

II

Ni les clartés du soir, ni l'amour, ni tes rêves

n'émeuvent plus ton cœur à jamais renfermé?

Et la flûte est sans souffle et la chanson s'achève

et tu ne souris plus au souvenir aimé ?

 

Voici ma main. Suis-moi sur les hautes terrasses.

La nuit est belle,  sois muet, écoute et vois.

Voici monter du fond de l’ombre où tout s’efface,

la lune si paisible à ton cœur d'autrefois.

 

Le vent s'est tu. Rien de la terre ne demeure

que le parfum montant des vergers éloignés.

Te souvient-il d’avoir vécu d'anciennes heures?

Te souvient-il du cher passé tant renié ?

 

Tu ne savais donc pas que la nuit fut si belle?

Pourquoi frissonnes-tu? Rien pourtant n’a changé.

Voici tes pleurs...un nom dans ta voix qui l’appelle

et dans ton cœur meurtri l’ange est ressuscité.

 

III

À l’heure de silence, allons, ce soir d'automne

dans les jardins où l’on voit l'ombre s’abaisser,

seuls, parmi les chemins où ne passe personne,

promener indolents nos exils oubliés.

 

Nul bruit ne troublera la solitude nue,

le vent pour nos désirs sera juste assez doux

et quand enfin arrivera l'heure attendue,

les parfums de la nuit s'élèveront pour nous.

 

Loin des demeures où palpitent les veilleuses,

dans nos cœurs étonnés s'éteindra le passé.

Nous cueillerons la fleur des nuits silencieuses,

et comme le soir meurt, nous aurons oublié.

 

A nos voix répondront les murmures lointains

du vent dans les rameaux du cèdre et de l'érable.

Nous nous éveillerons pour de nouveaux destins

et nous nous sourirons dans l'ombre impénétrable.

IV

Suis-moi , la nuit est belle et le vent a cessé.

Rien n’éveille l'écho qui dort dans les vallées

et sans savoir jamais où nous aurons passé,

nous irons seuls dans le silence des allées.

 

Nous souffrirons, et sans pourtant nous en vouloir,

nos paroles seront tristes et pourtant douces,

nous nous regarderons dans l'ombre sans nous voir,

et près de nous s'élèvera la voix des sources.

 

Écoute! elles sont là, proches, inaperçues,

si faibles que plus loin tu les ignorerais,

mais leur voix si fragile et pourtant continue

fait déborder en nous la coupe des regrets.

 

Ah! nous sommes venus libres de toutes peines,

jadis, penchés sur vous pour mieux vous écouter.

Reviendrons-nous, si nous ne pouvons, ô fontaines,

vous entendre de loin maintenant sans pleurer ?

 

V

Tu demeures muette et tu trembles : écoute,

voici venir le vent sur le bois qui frémit;

lave sur tes talons la poussière des routes

et rêve que nos cœurs sont perdus dans la nuit.

 

Si la mer inquiète est triste à notre espoir,

peut-être pourrons-nous, plus tard, loin des tourmentes,

bercer notre souci près des rivières lentes

où la lune mettra la lumière du soir.

 

Si l'ardente rumeur qui monte autour des villes

a blessé nos désirs de silence et de paix,

peut-être vivrons-nous au milieu des forêts,

plus tard, quand nous serons indolents et tranquilles;

 

quand nous aurons scruté les mystères du sable,

quand nous aurons enfin compris notre destin.

 

VI

Si nous ne pouvons plus vivre avec nos faiblesses,

Ah ! quittons ces jardins où nous avons vécu,

en attendant qu’un soir, devant nous apparaisse,

un Dieu sévère et noir qui ne sourira plus.

 

Rien ne nous retient plus au pays des fontaines.

Partons, nous connaissons les secrets de la nuit,

nous avons vu monter la lune sur les plaines,

et les nuages que nous n'avons pas suivis.

 

L’ombre nous a parlé par ses voix innombrables,

et nous n'avons pas su ce qu’ elle nous disait.

Partons, l'heure qui passe aujourd’hui nous accable,

et nous sentons en nous s'éveiller le regret.

 

Le regret de l'aurore et des pures lumières

que nous verrons un jour, peut-être, dans le ciel,

quand le vent soufflera sur nos vieux cimetières,

quand nous pourrons enfin regarder le soleil.