Poème
Écoutez : là bas auprès de la fontaine, des flûtes chantent, s’en vont et reviennent; là-bas, comme sur l’eau qui va, les roseaux chantent, les roseaux pleurent, comme émus pour un deuil sacré.
Vous qui savez d’anciennes heures les récits jadis murmurés, ne vous souvenez-vous pas ? Ne vous souvenez-vous pas d’un autre qui mourût un soir, et dont le trépas proclamé suscita sur les côtes d’Égée des plaintes jamais entendues ? Les flûtes pleurent sa mémoire depuis, à chaque soir, chantant à cause de la première Syrinx qu'il coupa dans l’eau du Ladon. Ne vous souvenez-vous pas ? N’entendez-vous pas d'autres chansons ? Si, je les entends, dit-il.
L’eau passait en vagues autour du navire et jaillissait en flots d'écume et retombait.
De l’orient venaient des brumes avec le vent qui grandissait et qui frappait au creux des voiles. Le soir avait rempli le ciel sans étoiles où des oiseaux passaient avec des cris, et le vaisseau se penchait avec le bruit de la mer dans ses cordes et sur ses bancs mouillés des hommes veillaient encore et d’autres, en bas, s’endormaient, d'autres encore riaient en remplissant de vin de larges coupes.
Soudain, le vent heurté sans arrêt à la poupe s'arrêta . Peu à peu tous les fracas des flots finirent en rumeur qui s’étendit sur l'eau et se perdit au loin comme un chant qui s'envole. Sans bruit, avec au mât pendant les voiles molles, le navire glissait, sans cesse ralenti et s’arrêta, mirant sur l’océan sans plis la double image de ses formes immuées.
Alors, dans le silence abaissé des nuées, venant des rives endormies où frémissait le clair bruissement des feuillages troublés, une voix s'éleva sur une aile invisible et la voix dit : Thamus... et tout se tût.
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Nous savons cela depuis des heures tristes et qu'il est des soirs où les Dieux sont morts, le marin l’a dit à Tibère et d'autres nous l'ont dit encor. Mais il est des paroles plus claires que d’anciennes voix ont apprises, ne les savez-vous pas ? Ne savez-vous pas celles qui sont oubliées ?
Si, je les sais, dit-il.
Il y eut un jour de l'Arcadie où il poursuivit la nymphe aux abois à travers les vallées endormies et dans les bois et les coteaux et jusqu’au fleuve ou elle fut changée en roseaux.
Silencieuse, elle courait toujours plus vite, à bonds légers, et le Dieu qui la poursuivait sentait son cœur battre plus vite et comme une ardeur de combat dans la poursuite.
Jeune vie, jeune amour, chair fraîche au-devant de lui qui fuit toujours et que toujours il veut rejoindre, cher mirage ! Cours, cours plus vite et d'une ardeur presque sauvage, étends la main pour la saisir ; ton pied fourchu comble aussitôt l'empreinte au sol de son pied nu. Quel Dieu pourrait n'être ici pas assez agile ? Tu vas bientôt toucher des doigts sa chair fragile, et ses deux seins sous sa tunique et ses cheveux et tu la forceras à te montrer ses yeux, là, sur la rive, au bord du fleuve...
Mais il n'y a plus rien au bord du fleuve, rien que l’eau qui passe dans les roseaux en les faisant bouger à peine, comme le temps passe à travers nous-mêmes.
Ainsi le Dieu lui-même a connu nos défaites et comme nous, cherché la fleur de son destin, et, quand pour la saisir, il tendait ses mains prêtes, comme nous, il ne trouvait rien qu'un roseau sonore et fragile, qu'un souvenir musicien qu'il fit chanter plus tard au cœur des soirs tranquilles.
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Nous savons cela depuis des heures douces et qu'il est des soirs où les Dieux ont pleuré, nous l'avons appris des bergers qui répètent la chanson sur leur flûte. Mais n’est-il pas d'autres chansons que disaient des voix plus profondes ? On dit qu'il a vécu d'autres vies dans d'autres mondes et que la légende oublie des paroles que certains ont sues ?
Il a vécu d'autres vies. Osiris avec les deux fils de Bacchus partirent pour des mers inconnues. Savoir ce qu'il y a derrière les collines, et, l'ayant su, aller plus haut, aller plus loin.
Remonter les cours d'eau jusqu’à leur origine, atteindre l'horizon jusque dans ses confins. Et maîtriser et dominer l’argile obscure, sortir de notre essence et, quittant le réel, ne trouvant rien qui soit plus à notre mesure, monter avec les Dieux dans un monde éternel
Ainsi le Dieu lui-même a cherché l'aventure et parcouru la terre et traversé les flots, en voulant découvrir une clarté plus pure, un vent plus tiède, un ciel plus beau. Cette flamme divine, en nous toujours transmise, comme lui nous consume et nous rend tous pareils. Mais quand trouverons-nous notre terre promise, quand pourrons-nous enfin rejoindre le soleil ?
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