Les Nuits pales  (6)

Mélancolies

 

Regarde autour de toi, l’agonie langoureuse

Du jour commence avec l’heure mystérieuse,

L’heure des rêveries… Tout aime, tout est beau,

L’or du soleil couchant se reflète sur l’eau,

Les toits ruissellent d’or, la rivière est sanglante,

Et le silence vient, l’ombre plane, géante,

Tout bruit s’est arrêté et des parfums troublants

Rêvent dans les soirs d’or et dans le sommeil des vents.

L’air est lourd, le ciel bleu s’assombrit, je m’enivre

De la force de l’amour et du plaisir de vivre.

Je serre dans mes bras le zéphyr odorant,

J’aime, et parfois, le cœur plein de pensées moroses

Mon âme est envahie par un mal languissant,

Un mal qui fane tous les rires et les roses,

Mais tu fais mon bonheur, douce mélancolie,

Sœur du soir rougeoyante, ô divine folie,

Tu visites mon cœur amoureux chaque soir,

Et tu t’y mêle, cote à cote, avec l’espoir…

Tu passes sur mon âme en frôlant de ton aile

Mon amour languissant à la plainte éternelle,

Je t’aime toi qui rêve aux crépuscules clairs.

La joie bruyante est morte en mon esprit rêveur,

Et l’amour seul, encor fort, fait tressaillir mon cœur.

Mon âme erre toujours dans l’immense univers,

Je suis seul et le soir tramant l’ombre du jour

Verse un flot de tristesse en mon unique amour.

 

8 Avril 1905