La  mort de Don Juan (4)

Depuis ce jour, le ciel, la forêt, la nature,

De la vie et du jour l’étourdissant murmure

Les oiseaux et les bois, et l’eau pensive et l’air,

Le soleil réchauffant tout de son disque clair,

Le papillon doré, le bruit et la lumière,

Tout ce que jusqu’alors j’adorais sur la terre

Prirent un autre sens pour moi, je n’entendis

Dans le bourdonnement confus de cris hardis,

De l’épervier sinistre ou du chien vigilant,

Du cri timide et doux du jeune agneau bêlant

Des chants mélodieux des oiseaux dans les branches,

Des craquements des pins superbes, qui se penchent

Sous l’haleine brutale et terrible du vent,

Dans tous ces bruits divers, mêlés confusément,

Dans le silence calme et beau du crépuscule,

Lorsque l’ombre s’avance et que l’horizon brûle,

Lorsque devant la nuit déjà s’enfuit le jour,

Que la chanson du cœur qui rêve dans l’air lourd

La chanson que le vent murmure à la nuit louche

Et le soir tendre et bleu à l’horizon farouche,

La chanson du printemps de la nuit et du jour,

La chanson de la joie, éternel chant d’amour !

Depuis ce jour, ce chant fut bien toute ma vie,

Aimant, chantant, buvant parfois jusqu’à la lie,

La coupe de l’amour où sombre l’idéal,

Je fus ce qu’on appelle, un fou sentimental.

(brusquement passionné)

Pose encore une fois ta bouche sur ma bouche,

Réchauffe en un baiser mon cœur endolori,

Puis nous exhalerons dans un baiser farouche

Notre souffle amoureux par la mort réuni.

Nous nous envolerons ensemble vers les cieux,

La mort interrompra notre dernière étreinte,

Nous nous envolerons ensemble, tous les deux.

Terre nous partirons sans murmure et sans crainte

Mais l’écho répond seul à ma voix dans la nuit.

Les sinistres rochers répètent dans un rire

Notre planète étouffée par la brise qui fuit,

Et sur mon front brûlant voltige le zéphire…

Je t’aime ! Et maintenant viens me chercher mon rêve

 

Clotilde

Hervé !

 

Hervé

Je meurs, adieu !

 

Clotilde

Que dis-tu ?

 

Hervé

Je l’achève

 

Il meurt, silence, Clotilde sanglote doucement sur son cœur. Alors dans la nuit, soudainement plus triste et plus lourde, un voix lointaine de soldat,

chaude comme une mélopée funèbre….

 

« Auprès de ma belle

Qu’il fait bon dormir…. »

 

 

25 Avril 1905