Toutes les nuits de Mai (2) |
Un Fantôme
Il me semble parfois qu’après l’instant suprême, A l’heure où les regrets frissonnent dans les cieux d’or, Dans l’éternel sanglot de la douleur que j’aime, Aux soirs de rêverie, à vous je pense encor…
Maintenant je m’en vais dans la nuit pale et blonde, Je verse à ma douleur l’ivresse du tombeau… Tandis que vient à moi, comme un étrange écho, Le grand frémissement de la vie et du monde.
Comme le chant d’adieu de troublantes prêtresses, J’écoute le sanglot d’un souvenir tremblant Et la voix des douleurs, dont les tristes caresses, Dans un baiser de mort, glacent mon front saignant.
Il ne me reste rien de vous, que la souffrance. L’amour ne fut pour moi que désir et malheur Et pourtant, je me plais, loin de toute espérance, Dans le néant divin de l’immense douleur.
J’évoque dans le soir l’âme de mes pensées, J’écoute le frisson des souvenirs éteints. Et les larmes d’amour, aux désespoirs mêlées, De ma paupière en feu tombent sur mes deux mains.
Alors, dans le sanglot des choses infinies, S’élève la chanson de mes vagues désirs, Un murmure confus de tristesses bénies, Comme la mélodie lointaine des soupirs.
Malgré moi, c’est vers vous que se tourne mon âme Malgré moi, c’est en vous que je vis chaque jour Et malgré moi dans la splendeur d’un ciel de flamme Je murmure éperdu des paroles d’amour.
Alors, les mots divins que je sème aux étoiles, Il me semble parfois que vous les entendez, Et que vous êtes là, dans l’ombre de ces voiles, Que je parle à votre âme et que vous m’écoutez.
Un rêve douloureux m’enveloppe et m’enlace, Un fantôme de vous me parle dans la nuit, Nous montons, nous montons dans l’éternel espace, Parmi les astres d’or qui nous veillent sans bruit.
Mais hélas, tout s’enfuit, mon âme évanouie Se réveille grisée de terribles parfums, Et dans mon cœur meurtri, ma détresse infinie Regarde en frissonnant les souvenirs défunts.
Il me semble parfois qu’après l’instant suprême, A l’heure où les regrets frissonnent aux cieux d’or, Dans l’éternel sanglot de la douleur que j’aime, Aux soirs de rêverie, à vous je pense encor….
20 Juin 1906
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