Toutes les nuits de Mai  (3)

Celle qui n’existe pas…

 

Je vous ai vue un soir de rêve et de tristesse,

Perdue dans l’ombre, assise et les bras étendus.

Tout se noyait alors d’indécises caresses,

La nuit s’offrait, splendide, à mes sens éperdus.

 

Ainsi qu’une prêtresse étrange et fantastique,

Dont les gestes divins se parfument d’amour,

Vous évoquiez en moi d’innombrables cantiques

Et des nuées d’accords infinis dans l’air lourd.

 

Vous étiez dans mon ciel la suprême déesse,

L’idéal infini qu’on ne trouve jamais

Et j’élevais, pour vous, dans mon cœur en détresse,

Un temple vague et sombre où mon rêve brûlait.

 

Longtemps ce rêve pur m’a bercé de mensonge

Et j’ai longtemps baisé pieusement, en pensée,

Vos pieds délicieux qui posent, dans mes songes,

Sur du marbre éclatant, leur divine beauté.

 

Puis il s’évanouit avec vous dans l’espace

En un bruit déchirant de pleurs et de sanglots,

Dans le grand tourbillon de l’automne qui passe,

Et qui gémit longtemps aux portes des tombeaux.

 

Je ne dois plus revoir l’ombre de ton visage,

Je n’écouterai plus le parfum de ton corps,

Et je me suis brisé, dans ce cruel mirage,

Sur les pierres semées dans l’ombre du soir mort.

 

Pourtant je garderai toujours le souvenir

De celle que j’ai vue dans un soir de folie,

Suave et tendre déesse, aux frissonnants désirs,

Ombre errante parmi les rêves de ma vie.

 

8 Septembre 1906