Le Page
Roger n’était qu’un page Blond sous la toque de velours, Mais dans son œil bleu sans nuage Brillait la flamme des amours.
Lorsque sa main fine et fluette, Le livre aux coins dorés feuillette, La duchesse regarde encor, Ce joli page aux cheveux d’or.
Or, une nuit d’automne aux effluves d’amour Ils se sont rencontrés dans les bois remplis d’ombre, Seuls dans l’immensité, éperdus, jusqu’au jour, Ils s’aimèrent ainsi, sous la verdure sombre.
La nuit violette et d’or consacrait leurs ivresses, Et la lune éclairait vaguement leurs caresses, Et le page aux yeux bleus, la duchesse aux yeux noirs, Sous les arbres, se sont rencontrés tous les soirs.
Mais comme tout rêve d’amour Cette idylle devint un drame, Car sous les grands sapins, un jour, Le duc jaloux surprit sa femme,
Et Roger dut prendre les armes, Et s’enfuir par delà les mers. À son départ, ce fut des larmes, Des regrets, des baisers amers.
Lorsque je serai loin dit-il à la duchesse, Lorsque je risquerai ma vie dans les combats Je t’aimerai toujours, ô ma belle maîtresse, Je t’aimerai toujours, seul et triste, la-bas.
Mais je sais un oracle infaillible et discret, Qui répondra toujours à tes questions timides. Effeuille tous les soirs Marguerite en secret, La fleur douce et tranquille aux pétales candides.
Depuis longtemps le page est mort, Ses os blanchissent dans la plaine, Et le ciel noir aux clous d’or, Rêvent seuls par la nuit sereine.
Pourtant à la belle duchesse, Attendant Roger tous les jours, Malgré le temps et la vieillesse, L’oracle répond, oui, toujours.
Depuis ces jours, l’amant inquiet de son bonheur Interroge en secret l’oracle aux parfums vagues, Et la duchesse bleue aux doigts chargés de bagues S’évoque dans le ciel triste et beau du malheur.
13 Février 1905
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Échos d’Orient (3) |