Toutes les nuits de Mai  (5)

Pour Lucienne

 

Fille des soirs d’amour, ô troublante Lucienne,

J’aime la profondeur de tes yeux clairs et bleus.

J’aime sentir trembler tes lèvres sous les miennes,

Quand le plaisir descend de l’alcôve des cieux.

 

Dans les parfums d’automne et dans les nuits sans voiles,

Ainsi qu’un rêve blond ton corps est transparent,

Tes yeux ont la splendeur de lointaines étoiles,

Et le charme des soirs mystérieux et lents.

 

Je trouve près de toi l’indécise fraîcheur

Des matins lumineux et des jeunes printemps,

Et le charme lointain, des chansons et des fleurs,

Adoucit les adieux de nos baisers défunts.

 

D’autres n’auront pour toi que de vaines tendresses,

Des baisers de hasard aux gestes méprisants,

Et d’autres n’aimeront en toi que tes caresses,

Et le rire cruel de tes lèvres d’enfant.

 

Ils garderont pour toi l’ennui d’une soirée,

Ils te demanderont de les distraire un jour

D’un peu de ce plaisir qui s’envole en fumée,

Et nul n’aura pour toi des paroles d’amour.

 

Et pourquoi ce mépris, ô belle courtisane,

Qu’y a t il donc en toi de sinistre et de bas ?

Hélas, ils n’auront pas pour ta beauté qu’ils fanent,

D’autre mot que celui du viveur triste et las.

 

Ils n’auront pas pour toi cette reconnaissance

Que tout amant sincère a pour toute beauté,

Et nul ne comprendra tes muettes souffrances,

Ni le rêve où se perd ton cœur déchiqueté.

 

Moi seul, je te dirai, malheureux et sincère,

Ces mots que tu n’entends qu’avec le rire aux yeux,

Et je te bercerai d’amour éphémère,

Parmi l’enchantement des astres et des cieux.

 

Si le monde t’a prise  comme une proie vivante

Et s’il t’a dérobé les frissons de ton cœur,

Je te rendrai les joies des étreintes brûlantes,

Et je te nourrirai de ma part de bonheur.

 

Ces années de douleur et de chute, ô Lucienne,

Je les rachèterai nuit par nuit, jour par jour,

Et je te mènerai vers les clartés sereines,

En lavant leurs mépris de mon immense amour.

 

14 Avril 1907